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Bloub et ses lectures
8 juillet 2008

11. A Rebours, J-K Huysmans.

AreboursBloub résume (un peu).
Comment résumer lorsqu'il n'y a rien à résumer?
Les 16 chapitres de A Rebours sont en effet axés sur un seul personnage. Basique jusqu'à présent. Sauf que cet homme, Des Esseintes, fuyant la décadence vulgaire et populaire de la société, affichant un mépris pour les oeuvres trop communes, passant son temps chez lui, enfermé, protégé, à contempler des splendeurs qui n'illuminent que lui, cet homme à la recherche perpétuelle de l'esthétique, de la jouissance spirituelle et artistique, cet homme malade qui demeure chez lui, est juste . Les interactions qu'il a avec d'autres personnages sont rares, quasi inexistantes, et l'action la plus grandiose et palpitante est son voyage avorté jusqu'à Londres. Comme le précise Daniel Grojnowski dans la présentation, A rebours relate "une aventure où rien n'advient" p.6
L'intériorité du personnage prime, et l'on suit avec difficulté parfois ses va-et-vient entre les souvenirs, les passages au discours indirect, le présent, ses interrogations, ses sensations éprouvées en rapport au présent qui le renvoient à l'époque d'autrefois. On perçoit peu à peu l'évolution de sa névrose, cette maladie qui le ratatine sur lui même, le cloitrant de plus en plus chez lui, cherchant à le fermer encore plus à tout ce qui compose l'environnement humain qu'il fuit, même si  sa recherche de l'isolement total sera au final un échec. Résumer A rebours sans sombrer dans l'analyse est difficile, aussi m'en tiendrai-je là.

Résumé officiel
.
"On finira par donner de simples études, sans péripéties ni dénouement" écrivait Emile Zola à propos des Soeurs Vatard de J-K Huysmans. A Rebours exauce les promesses de son titre. Entremêlant au récit dd'une rupture avec le monde réel des contes, des poèmes en prose, des considération intempestives, des pages d'Histoire ou de critiques, il donne l'exemple d'un des "antiromans" les plus remarquables. En même temps qu'il expose les thèses de la décadence, il s'engage dans les voies de l'expérimentation et se tourne vers la vie intérieure - ce qui ne l'empêche pas d'exploiter tous les filons du comique, de la grosse blague à l'humour noir.

Extraits.
."Des Esseintes haussa les éppaules. - Tu n'y es pas; Oh! mais pas du tout, fit-il ; la vérité c'est que je tâche simplement de préparer un assassin. Suis bien, en effet, mon raisonnemnt. Ce garçon est vierge et a atteint l'âge où le sang bouillonne ; il pourrait courir après les fillettes de son quartier, demeurer honnête tout en s'amusant, avoir, en somme, sa petite part du monotone bonheur réservé aux pauvres. Au contraire,en l'amenant ici [maison close], au milieu d'un luxe qu'il ne soupçonnait même pas et qui se gravera forcément dans sa mémoire, en lui offrant, tous les quinze jours, une telle aubaine, il prendra l'habitude de ces jouissances que ses moyens lui interdisant ; admettons qu'il faille trois mois  pour qu'elles lui soient devenues absoluent nécessaires - et, en les espaçant comme je le fais je ne risque pas de le rassasier; - eh bien , au bout de ces trois mois, je supprime la petite rente que je vais te verser d'avance pour cette bonne action, et alors il volera, afin de séjourner ici ; il fera les cent dix neuf coups, pour se  rouler sur ce divan et sous ce gaz!
      En poussant les choses à l'extrême, il tuera, je l'espère, le monsieur qui apparaîtra mal à propos tandis qu'il tentera de forcer son secrétaire ; - alors mon but sera atteint, j'aurai contribué , dans la mesure de mes ressources, à créer un gredin, un ennemi de plus pour cette hideuse société qui nous rançonne.
Les femmes ouvrirent de grands yeux."  p107

"Encore descendu de plusieurs crans, le ciel s'était abaissé jusqu'au ventre des maisons." p167

Opinion

J'ai découvert Huysmans dans un salon de thé aixois. Un ami aux longs cheveux mit une musique d'ambiance, musique que je ne devais jamais réussir à retrouver, puis me fit la lecture. C'était l'année dernière. Nous étions en juillet, le salon était désert, seule résonnait la voix chaude et assurée de S., qui parcourait les premiers chapitres de A Rebours. Ce fut une révélation. Jamais encore je n'avais découvert, même chez mon favori, une telle richesse de mots, de sonorités, une telle exploitation de la langue française. Chaque phrase était un déluge d'images, et je pouvais apercevoir les mots se former devant mes yeux, gravés, enluminés d'or et de fil d'argent. Le langage était précieux, précis, fourni, riche, presque étouffant parfois. Pourtant je n'ai acheté et lu et fini cette oeuvre que cette année, il y a quelques mois. Il était en effet difficile de me reponger dans l'oeuvre. Par sa difficulté d'abord (voir ci dessous), puis parce que mon esprit n'était pas assez libéré de contraintes et contrariétés quotidiennes pour savourer et comprendre les écrits que je tenais entre mes mains. Mais une fois sortie de ma période de flou cérébral, je pus me plonger dans les pages riches et complexes, voguer entre les lignes et découvrir du vocabulaire jusqu'alors insoupçonné. La lecture fut étrange.  J'étais comme aspirée par le livre, du fait de ma relation particulière avec la langue française, j'avais vaguement l'impression que je ne pourrais pas m'en séparer tant que je ne l'aurai pas entièrement fini, appris, assimilé, consommé. Ce livre difficile m'a avalée pendant une journée. L'attraction ressentie en parcourant les lignes était forte et je ne pouvais m'en détacher. Dans ce livre où rien ne se passe, je ressentais paradoxalement une profusion de choses se dérouler en moi. Même si avouons le sans honte, environ 85% des références citées m'échappaient, même si je passai sans doute à côté d'une multiplicité de sous entendus, références implicites, et raisonnements critiques, je lisais, et je me sentais bien.
Cependant, je suis bien consciente que 95% des gens ne pourront jamais finir ce livre, et que l'attraction qu'il a exercée sur moi est tout à fait particulière. Aussi ne le recommanderai-je qu'à très très peu de gens...

Opinion technique.

Complexe, incroyablement complexe. Comme je l'ai déjà dit, il est facile de se laisser assommer par une telle profusion de mots nouveaux ou anciens, de se laisser étourdir par les longues phrases incroyablements lourdes, bourrées d'ajouts, d'appositions, complétées, approfondies, par les interminables paragraphes descriptifs, évoquant une cultures et des références auxquelles nous, pauvres lecteurs, n'avons eu accès:
" Les ouvrages des siècles suivants se clairsemaient dans la bibliothèque de des Esseintes. Le VIème siècle était cependant encore représenté par Fortunat, l'évêque de Poitiers, dont les hymnes et le Vexilla regis, taillés dans la vieille charogne de la langue latine, épicée par les aromates de l'Eglise , le hantaient à certains jours; par Boèce, le vieux Grégoire de Tours et Jornandès ; puis, aux VII et VIII siècle, comme, en sus de la basse latinité des chroniqueurs, des Frédégaires et des Paul Diacre, et des poésies contenues dans l'antiphonaire de Bangor dont il regardait parfois l'hymne alphabétique et monorime, chantée en l'honneur de sint Comgill, la littérature se confinait preque exclusivement dans des biographies de saints, dans la légende du bienheureux Cuthbert, rédigée par Bède le Vénérable sur les notes d'un moine anonyme de Lindisfarn, il se bornait à feuilleter, dans ses moments d'ennuis, l'oeuvre de ces hagiographres et à relirer quelques extraits de la vie de sainte Rusticula et de sainte Radegonde, relatées, l'une par Defensorius, synodite de Ligugé, l'autre, par la modeste et la naïvre Baudovinia  religieuse de Poiters." p.75  (toujours là les lecteurs?)
L'absence d'action à proprement parler est également difficile: à quoi se raccrocher? Doit-on se borner à rester confiné à l'intérieur des murs de cette maison sombre, gardée par un vieil homme névrosé qui se terre dans des splendeurs figées? Oui. Les habitués des "romans", ceux qui cherchent des profusions de bons sentiments, des actions vilains contre gentils, les passionnés d'aventure passeront leur chemin. Il faut être prêt à affronter des Esseintes et à la regarder, de l'extérieur tout comme de l'intérieur, et à ne voir que lui.
Il serait bien trop orgueilleux de ma part de prétendre à une véritable analyse technique aussi m'arrêterai-je là, en précisant que ma notation va être donc maximale, mais que je ne conseille ce livre qu'à vraiment, vraiment peu de gens.


Notation.

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