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Bloub et ses lectures
28 avril 2009

15. Du moment que ce n'est pas sexuel, Gudule

du_moment_queBloub résume (un peu)

C'est l'histoire de Nora, une fleur fragile et délicate, et de Charlie, un clown un peu largué. Mais boudiou, ils sont heureux, ces deux-là, sont mignons. A l'abri dans leur serre, loin de la ville, des complications, de la réalité. Une vie de bohème, une vie pleine de bonheur simple, une vie d'amoureux.

Mais voilà, il y a aussi le rêve du clown, qui paradoxalement, les renvoie de plein fouet dans la réalité. Le choc est rude, brutal, et Nora craque, Nora pleure, et Charlie aussi, qu'elle est malheureuse sa petite fleur, hors de question de la laisser dépérir, alors tant pis. Nora se reprend, Nora se revigore, mais voilà, Nora aime Charlie. Et elle l'aime trop. Et Nora n'est pas assez forte pour résister à cet amour. Nora veut qu'il soit heureux, qu'il resplendisse, alors elle va se sacrifier, sacrifier son bonheur, se disant qu'elle l'aime et que ce qui compte, c'est qu'il soit heureux, mais la petite fleur ne résistera pas et ira trop loin dans l'idée obsessionnelle de se sacrifier pour le petit clown. Paris la mangera, la dévastera. A force de vouloir se priver de soleil pour faire pousser les autres, la fleur se fanera, lentement, doucement, gangrenée par un mal insidieux, une maladie contre laquelle elle ne peut plus lutter et l'issue sera tragique, car Paris, incarnation de la vie et ses réalités sombres, est bien trop forte et angoissante pour la fleur, rêveuse et toute frêle.


Résumé officiel.

Nora aime Charlie, Charlie aime Nora. Ce pourrait être la happy end d'un roman, ça n'en est que le début. Car il y a la vie, le regard des autres, le succès, la peur, la culpabilité... A force de vivre d'amour et d'eau fraîche, ils avaient oublié que le monde existe, et qu'il se compose de mille petites choses qui séparent les couples. Fin de la fusion. Charlie se laisse embarquer dans une belle aventure professionnelle, Nora suit  vaille que vaille. Puis elle est distancée et se retire du jeu. Commence alors pour elle une douloureuse errance dans le Paris des parias. Elle réapprend la liberté – antithèse de la passion – et cette liberté , rencontre après rencontre, va la mener tout droit de l'autre côté du miroir.

Extraits.

Dans les rues que le soleil rase et où l'ombre bleue lentement s'insinue, la flânerie est de rigueur. Les passantes trimbalent une sensualité lascive dans leur démarche, le négligé de leur tenue, une épaule nue, l'amorce d'un sein. Une cuisse trahie, l'espace d'un éclair, par la jupe fendue. Des pieds que les chaussures n'emprisonnent plus. Une odeur de peau, sauvage et douce, flotte dans l'air.
- Chouette, hein? Murmure Nora.
- Chouette, approuve Charlie.
Ils s'embrassent, histoire d'être à l'unisson. Et de partager le goût de la bière, en sus.

- Tu fais ça seule?
- Non, avec un copain.
Elle n'a pas dit mon mari. Elle ne l'a pas dit. Pour l'heure, elle le renie: il est la propriété de Boris.

Elle est longiligne, splendide et terrifiante. (…) Elle toise Nora qui rétrécit à mesure, et d'une lèvre violine  en accent circonflexe, lâche:
- C'est quoi, ça?
« Ça » se ratatine encore davantage. Jusqu'à se fondre dans le néant.

Il serait peut être temps de couper le cordon, les p'tit loups! Vous êtes des individus, des in-di-vi-dus! Tu as ton destin, Charlie, et Nora le sien. L'entité bicéphale que je vois devant moi, il n'y a rien de plus négatif, de plus stérile. Chacun freine l'autre dans ses aspiration, de peur d'être lésés. Vous tissez autour de vous un cocon de méfiance, d'indisponibilité, d'interdits – dont celui de vous épanouir pleinement n'est pas le moindre. Et vous tournez le dos à l'avenir.

L'ange a un sourire très doux.
- Elle est pute avant d'être handicapée, tu sais! (...)Eh beh dis donc, t'as un sacré paquets de préjugés, dans ta p'tite caboche, constate l 'ange tristement. Tu fais partie de ceux qui pensent que le plaisir est réservé aux gens beaux, jeunes et en bonne santé, c'est ça?  (…) Tu as entendu parler des peintres du pied?  Des artistes manchots qui domptent leurs orteils au point de les rendre aussi habiles que des doigts, et produisent des oeuvres remarquables? Eh bien Lulu, c'est pareil: sa survie passe par son boulot. Et elle se dérouillera pour l'exercer, quelle que soit sa condition physique.
- Mais toi, toi qui l'aimes, comment peux-tu supporter ça?
- J'en crève... Mais je le foutrai jamais en cage, cet oiseau là, jamais! Surtout s'il ne peut plus voler!


Opinion.

Je ne suis pas sortie indemne de la lecture de ce livre. Nora est belle, Nora est une femme, mais Nora aime, aime trop, aime d'un amour oppressant, étouffant, malade et pourtant innocent, enfantin, absolu. On la suit dans sa descente en enfer, dans ses errances citadines, où les autres sont amis et ennemis à la fois, dangers et refuges. Le monde des parias, le monde des putes et des clodos, des saltimbanques ivres et de la baise nocturne dans les jardins sales, ce monde inconnu qui vit et grouille dans le métro et les troquets minables, nous le découvrons avec Nora, ses yeux d'enfant de la campagne, ses appréhensions et son innocence. C'est l'amour absolu qui la guide dans la capitale, qui dicte sa conduite et la rend incompréhensible aux yeux des autres, les gens normaux, rationnels et professionnels, incarnés par Boris. Lors de la conversation finale avec lui, l'ennemi, l'incarnation de la raison, on se « ratatine » avec elle, parce que nous avons conscience de sa logique illogique, son raisonnement absolu et incroyable: elle aime Charlie, jusqu'à se sacrifier, jusqu'à vouloir disparaître pour lui, pour le laisser libre, cet oiseau là, son oiseau à elle. Elle veut le libérer d'elle, mais est bien trop absolue pour s'y prendre de la bonne façon, et cet absolutisme aboutit à son martyre, inutile et triste car incompris et non reconnu.

Je m'oppose à ce qui est dit dans le 4ème de couverture, lorsque je vois « elle réapprend la liberté ». Non. Certes, Nora est prise dans la passion, elle adore, adule Charlie, mais son errance n'est en aucun cas une reconquête de la liberté. Bien au contraire, elle déambule, sans but, fantôme rural en milieu urbain, perdue dans un monde dénué de douceur et de tendresse, confrontée aux réalités violentes de la rue. C'est elle, certes, qui choisit de partir, de fuir le domicile de sa soeur, de parcourir la ville, c'est elle qui se retrouve à mendier la compagnie des révisionnistes de l'histoire et l'illusion d'une tendresse oubliée dans les bras du cracheur de feu. Mais on ne peut être libre que lorsque l'on est conscient, raisonnable, sûr de soir. Nora ne l'est pas. Elle est au contraire prisonnière, prisonnière de son amour fou qui est  à l'origine de sa fuite, et c'est parce qu'elle ne s'est pas libérée de son emprise qu'elle se perd peu à peu, de plus en plus. Nora n'est pas libre, car son âme et son corps sont dédiés à Charlie, elle n'existe que pour lui, et s'il faut qu'elle disparaisse afin que lui soit libre et qu'il soit heureux, alors elle le fera, de la façon la plus dramatique qu'il soit.

Opinion technique.

Gudule utilise un lexique et un vocabulaire simple, et ses dialogues sont fidèles à ce que l'on pourrait entendre. Pas de négation, des points de suspension pour retranscrire les hésitations et les non dits. Aucune difficulté.

Et la technique de narration est parfaite: 3ème personne, mais on approche plus du récit à la 1ère personne. L'accès aux pensées de Nora et de Charlie est direct, sans transition, et le récit l'est également, limité au possible. Pas de pompeux « Charlie en resta KO », mais plutôt « KO, Charlie ». L'écriture est comme Nora: simple et directe, franche et juste. Les émotions ne sont pas décrites, mais transitent par les raccourcis et les silences, et les pensées désespérées auxquelles le lecteur a accès. Nul besoin d'explication longue et ennuyante sur les raisons qui poussent Nora à fuir. Le ton est juste et touchant, et devient oppressant: trop de simplicité pour décrire la dégradation de l'état de Nora, trop d'innocence dans les phrases, trop de « direct » lorsque la réalité la rattrape. Boris est violent, par sa franchise mais on le comprend: il est normal. Il est comme nous. Sauf que lui n'a pas accès à la logique incertaine de Nora. Alors on ne peut pas lui en vouloir. Sans doute aurions nous les mêmes pensées, les mêmes déductions, et c'est ce qui met mal à l'aise.


Notation:

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